Peut être un peu trop confiant d’un point de vu logistique , je
décide de n’arriver sur Madère que la veille de la course mais ce n’est sans
compter sur les aléas des transports aériens. Sans le savoir je débute alors un
premier ultra pour rallier Marseille a Funchal: avion en surbooking, puis
tempête sur Madère m’obligent à passer par Paris puis passer une nuit blanche a Lisbonne en
transit pour attendre un autre vol pour Madère le vendredi. Arrivée a Funchal
un peu avant 11h, je suis alors rassuré une fois mon dossard entre les mains
sachant que j’ai longtemps cru ne jamais pouvoir prendre le départ. Apres un
dernier repas enfin correct et riche en glucide, j’essaye d’oublier ce voyage
où je n’ai ni dormi ni put m’alimenter correctement. L’objectif est alors de
faire une grosse sieste le vendredi après midi et se mettre dans l’ambiance de
la course. J’arrive à dormir 4h, puis fini de préparer mon sac pour affronter
ces 115km.
21h30, je monte dans le bus qui nous transporte jusqu’a la
ligne de départ à l’autre bout de l’ile et profite de redormir une petite heure
dans le bus tout en prenant un peu de temps pour me mettre en tête ma course,
les temps de passage, les passages délicats, me rappeler mes objectifs, à
savoir un top 30 en 18h, même si rien n’est écrit d’avance sur un ultra.
Arrivée sur place je retrouve mon ami Sébastien Nain afin de partager cette dernière heure
d’avant course ensemble. Le temps nous semble long assis par terre le long d’un
trottoir, au frais, mais nous en profitons pour valider nos stratégies de
courses: partir cool, faire passer la nuit pour tenter d’accélérer en journée.
Cette longue attente me permet de vraiment rentrer mentalement dans ma course
et ne plus penser au manque de sommeil et de calories qui pourraient se faire
ressentir dans quelques heures. Je me fais alors un point d’honneur à chasser définitivement
cette pensée de ma tête car je sais que
cela pourrait devenir un motif d’abandon facile en cas de coup de moins bien.
Minuit, le départ est donné sur une musique de « clubber »,
surement pour nous booster. Cela fonctionne car les élites partent très fort
malgré la pente a plus de 20%. Je me cale dans les 40 premiers et suis
agréablement surpris d’avoir de bonnes sensations. A la moitié de la première
difficulté (1000D+ en 4 km dans la
boue), je retrouve Sébastien et finissons l’ascension ensemble en nous
rappelant mutuellement de rester en dedans pour ne pas puiser dans les
réserves. Un premier ravito nous fait basculer sur la première descente ou Seb
s’envole. N’étant pas bon descendeur, je décide de ne pas suivre, il faut
rester prudent surtout que pour l’instant je suis bien et dans mes temps. La
descente ne nous ménage guère: de la boues, des racines, une forte pente, des
marches. Il faut des cuisses solides et des appuis de cabris pour ne pas subir.
Je me tords « gentiment » la cheville droite à trois reprises mais
rien de grave, juste faire attention à ne pas marquer trop les appuis
incertains coté pied droit afin de ne pas se là tordre vraiment.
Nous sommes alors en direction du ravito du 45ieme km quand
j’aperçois Seb dans la montée. Avant même de lui adresser la parole je vois
qu’il n’est pas bien. Il m’explique alors qu’il a chuté dans la descente et ne
peut plu courir. J’échange avec lui mais comprend que c’est la fin de
l’aventure. Triste pour lui, qui avait si bien préparé sa course pour viser un
top 10, cela me motive d’autant plus pour aller au bout quoi qu’il arrive pour
sauver l’honneur des traileurs provençaux.
Le jour commence à se lever et je suis toujours surpris de ne
pas avoir de coup de barre même si je commence à parler seul dans les chemins,
preuve que j’ai basculé dans ma bulle, isolé du monde extérieur. Nous passons
alors un passage mythique de ce parcours le long d’une conduite forcée ou il
faut quasi poser les mains pour monter. La fatigue générale commence alors a se
faire ressentir et il faut se faire violence pour relancer en courant des que
la pente diminue. Heureusement cet exercice reste encore assez rare vu la
difficulté du parcours sachant que nous avons 3500D+ en seulement 45Km.
Voyant un coureur en ligne de mire je fait l’effort pour
revenir. Nous entamons la discussion afin d’oublier nos douleurs réciproques.
Le fait qu’il soit réunionnais facilite l’échange et lui demande si le parcours
ressemble a celui de la Diagonale. Franco il me répond que « oui »
mais qu’ici c’est plus dur du fait que les montées et descentes s’enchainent
sans transitions. Je me dis que ca me fera un bel entraînement en vue de la
diag cet automne.
Arrivé à la base vie du 60 ieme km, après 9 heures de course,
je suis parfaitement dans mon timing mais ressent toujours la fatigue s’amplifier.
Je regarde alors ma montre à l’entrée du ravito et me fixe, ou plutôt m’impose,
de ne pas ressortir avant 20 minutes. Je change alors de teeshirt, nettoie mes
pieds plus que boueux à patauger dans l’eau depuis le début du parcours, change
de chaussettes et profite pour manger une soupe et du riz. Il est encore trop
tôt pour craquer sur le chocolat même si j’en ai envie, au risque de connaitre
des problèmes de digestions.
Après ce mini repas, je me lance dans la plus grosse difficulté
du jour avec 1300D+ et sais d’expérience qu’après la digestion d’ici 30 min, je
devrais retrouver des forces et basculer dans une phase de mieux. Mais là rien...
je continue même à basculer dans le moins bien. Je sais quand même que cette
phase ne durera pas et qu’il y aura un moment de mieux mais la question reste Quand?
Le parcours devient alors totalement sec, avec des sentiers
vertigineux, pavés et taillés dans la roche volcanique. Nous zigzaguons entre
les deux points culminants de l’ile, entre des crêtes rocheuses à 1600m
d’altitude. Les parties plates n’existent plus ici, à minima nous sommes sur du
10% ou il faut parfois tenter de trottiner, des coup de cul avec des marche en
pierres de 40 cm de haut ou des descentes dans des escaliers métalliques
permettant le cheminement sur ces massifs abruptes. Cela est épuisant tant pour
les cuisses que pour les organismes. Je suis toujours dans le dur, je souffre maintenant
depuis 3h et rien ne change. Néanmoins je suis surpris de ne pas penser un
instant à l’abandon ou à me dire “ Mais qu'est ce que je fou la, arrête!”.
Surement parce que les paysages sont magnifiques et surprenant, mais surtout
car je pense avoir une sorte de hargne intérieure et envie de gagner face à mes
aléas de voyage et aussi pour Seb.
Arrivé au 76ieme km, le plus méchant est fait, nous avons
parcouru 6300D+ (je vous laisse faire le ratio km/D). Nous sommes au sommet de
l’ile reste plus qu’à « descendre » avec tout de même une grosse
bosse à passer. Mais cela est aussi synonyme de parties planes ou il va falloir
relancer et savoir, ou surtout vouloir, courir quand beaucoup marcheront. Dans
ces situations, il est toujours bon d’avoir des compagnons de course pour se
motiver, mais la à part quelques moutons, personne. Il faut donc que je me
donne un rythme de course pour ne pas perdre trop de temps et à l’inverse ne
pas exploser en voulant tout donner. Les sentiers sont plus monotones, sur des
pistes larges, peu de végétations, on dirait notre garrigue. Je m’occupe
l’esprit comme je peu pour ne pas penser à toutes les petites douleurs qui
pourraient m’inciter à marcher: je découpe le reste du parcours en étape pour
que ca passe mieux, pense à mon alimentation au prochain ravito, à mes amis, ma
famille qui doivent me suivre en live, à Amandine Ferrato qui est passée par la
il y a déjà quelques heures sur le trail du 40Km et qui doit avoir terminé (d’ailleurs un grand bravo car elle termine
4ieme au scratch).
J’ai l'impression de ne pas avancer avec mon rythme de « footing
du dimanche » mais vu que personne ne me double, pas même Émilie Lecomte
qui est derrière moi, cela montre que je suis dans le tempo.
Point de vu chrono, je suis toujours au quart d’heure prêt par
rapport a mon prévisionnel, ce qui signifie que je pourrais mettre 18h alors
que j’ai l’impression qu’a ce rythme il m’en faudra 24. Côté classement, aucune
nouvelle mais vu que pas grand chose n’a évolué depuis quelques heures je pense
toujours être dans les 30ieme.
La seule vraie distraction viens alors du fait que l’on
commence à doubler les derniers du 40km. Eux marchent et sont époustouflés de
nous voir passer en courant. Certes ils sont pour la plus part mal équipés,
sans technique mais souffrent peu être plus que nous et ont du mérite. Je me
tiens alors de leur exprimer un “Força” chaque fois que j’en double un.
Tous les ravitos deviennent alors pour moi une sorte de refuge
d’étape ou je prend le temps de bien remplir ma poche a eau, manger du chocolat
pour le coup...cela fait du bien dans la tête mais aussi physiquement. Enfin la
forme revient au 90ieme km! Ce ressentit se mesure sur le terrain: depuis une
dizaine de kilomètres je faisait le yoyo avec 2 coureurs portugais qui courraient
ensemble et que je n’arrivais jamais a suivre sur les parties planes,
maintenant c’est bon j’arrive a les tenir et relançons en trio. Nous avons un
bon rythme mais la fin du parcours est longue sur un interminable sentier en
flan de falaise a perte de vue.
A la sortie de ce sentier en balcon, surprise, un des deux
portugais craque et s’assoit sur le bord du chemin. Je part donc seul pour affronter
les 10 derniers km la aussi sur des Levadas (sentiers longeant des petits
canaux) à perte de vue qui peuvent vite
démoraliser. Mais aujourd'hui j’ai un mental inoxydable et rien ne m’effraie,
la fatigue est bien là, les jambes sont lourdes mais je pourrais encore
trottiner des jours durant sans ennuie. Je suis dans mon monde, dans le monde
de ce coureur qui fait le vide dans sa tête et que plus rien ne peut atteindre.
17h50, j’entame la descente finale sur l’arrivée que j’ai en
visuel en contre bas le long de la plage. Contrairement aux autres ultra où
j’ai souvent une larme à l’oeil, plein d’images qui me reviennent, ou je me
félicite à voix haute….là Non. Je suis
Zen, serein d’avoir accompli une très belle course, d’être surement dans les
30ieme sur une étape de l’UTWT, d’être a moins de 10 min de mon temps prévu
mais surtout de ne jamais avoir douté pendant toute la durée de la course.
17h55, je franchi la ligne 33ieme : “j’ai fait le job!”
Sébastien, me retrouve sur la ligne pour m'offrir une bière
bien méritée et qui fait plaisir.
Quelques jours après cette course, je ne suis pas euphorique,
ni sur mon petit nuage, mais tout simplement fier d’avoir parfaitement géré de
A à Z (sauf le T de transport) cet ultra que je classerai parmi les plus
exigeant que j’ai fait.
Heureux de ne jamais avoir douté durant la course et avoir été
lucide à tout moment.
Aujourd’hui je suis serein.
A présent, je n’ai qu’une envie: Remettre mes basquets,
retourner courir et préparer mon prochain ultra.
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