Après avoir eu le malheur de "goûter", un peu par hasard, à la course à pied en 2008, je me suis découvert une passion pour ce sport qu'est le trail.
Un sport d'addiction, où chacun peut y trouver du plaisir, une motivation, des défis à relever.
Un sport qui permet de découvrir de nouvelles contrées, des paysages, des ambiances uniques, des personnages.
Un sport de partage, où les derniers côtoient les premiers, où l'on partage des valeurs.
J'ai longtemps hésité avant de créer ce blog, car loin de moi l'idée de me mettre en valeur (ceux qui me connaissent n'en douteront pas en instant), je tiens surtout ici à vous faire partager ma passion, au travers de mes récits de courses et des tranches de vie vécues depuis quelques années sur les sentiers...et pourquoi pas vous transmettre ce virus qu'est le trail et plus particulièrement l'ultra trail!



samedi 23 avril 2016

MIUT 2016 (Portugal)


Peut être un peu trop confiant d’un point de vu logistique , je décide de n’arriver sur Madère que la veille de la course mais ce n’est sans compter sur les aléas des transports aériens. Sans le savoir je débute alors un premier ultra pour rallier Marseille a Funchal: avion en surbooking, puis tempête sur Madère m’obligent à passer par Paris  puis passer une nuit blanche a Lisbonne en transit pour attendre un autre vol pour Madère le vendredi. Arrivée a Funchal un peu avant 11h, je suis alors rassuré une fois mon dossard entre les mains sachant que j’ai longtemps cru ne jamais pouvoir prendre le départ. Apres un dernier repas enfin correct et riche en glucide, j’essaye d’oublier ce voyage où je n’ai ni dormi ni put m’alimenter correctement. L’objectif est alors de faire une grosse sieste le vendredi après midi et se mettre dans l’ambiance de la course. J’arrive à dormir 4h, puis fini de préparer mon sac pour affronter ces 115km.
21h30, je monte dans le bus qui nous transporte jusqu’a la ligne de départ à l’autre bout de l’ile et profite de redormir une petite heure dans le bus tout en prenant un peu de temps pour me mettre en tête ma course, les temps de passage, les passages délicats, me rappeler mes objectifs, à savoir un top 30 en 18h, même si rien n’est écrit d’avance sur un ultra. Arrivée sur place je retrouve mon ami Sébastien  Nain afin de partager cette dernière heure d’avant course ensemble. Le temps nous semble long assis par terre le long d’un trottoir, au frais, mais nous en profitons pour valider nos stratégies de courses: partir cool, faire passer la nuit pour tenter d’accélérer en journée. Cette longue attente me permet de vraiment rentrer mentalement dans ma course et ne plus penser au manque de sommeil et de calories qui pourraient se faire ressentir dans quelques heures. Je me fais alors un point d’honneur à chasser définitivement cette pensée de ma tête  car je sais que cela pourrait devenir un motif d’abandon facile en cas de coup de moins bien.
Minuit, le départ est donné sur une musique de « clubber », surement pour nous booster. Cela fonctionne car les élites partent très fort malgré la pente a plus de 20%. Je me cale dans les 40 premiers et suis agréablement surpris d’avoir de bonnes sensations. A la moitié de la première difficulté  (1000D+ en 4 km dans la boue), je retrouve Sébastien et finissons l’ascension ensemble en nous rappelant mutuellement de rester en dedans pour ne pas puiser dans les réserves. Un premier ravito nous fait basculer sur la première descente ou Seb s’envole. N’étant pas bon descendeur, je décide de ne pas suivre, il faut rester prudent surtout que pour l’instant je suis bien et dans mes temps. La descente ne nous ménage guère: de la boues, des racines, une forte pente, des marches. Il faut des cuisses solides et des appuis de cabris pour ne pas subir. Je me tords « gentiment » la cheville droite à trois reprises mais rien de grave, juste faire attention à ne pas marquer trop les appuis incertains coté pied droit afin de ne pas se là tordre vraiment.
S’en suit alors une nouvelle grosse bosse que je gère dans mon rythme en affrontant un climat assez changeant selon l’altitude et les versant des massifs : alternance de pluie, fraicheur, bruine, pleine lune….cela occupe l’esprit.
Nous sommes alors en direction du ravito du 45ieme km quand j’aperçois Seb dans la montée. Avant même de lui adresser la parole je vois qu’il n’est pas bien. Il m’explique alors qu’il a chuté dans la descente et ne peut plu courir. J’échange avec lui mais comprend que c’est la fin de l’aventure. Triste pour lui, qui avait si bien préparé sa course pour viser un top 10, cela me motive d’autant plus pour aller au bout quoi qu’il arrive pour sauver l’honneur des traileurs provençaux.
Le jour commence à se lever et je suis toujours surpris de ne pas avoir de coup de barre même si je commence à parler seul dans les chemins, preuve que j’ai basculé dans ma bulle, isolé du monde extérieur. Nous passons alors un passage mythique de ce parcours le long d’une conduite forcée ou il faut quasi poser les mains pour monter. La fatigue générale commence alors a se faire ressentir et il faut se faire violence pour relancer en courant des que la pente diminue. Heureusement cet exercice reste encore assez rare vu la difficulté du parcours sachant que nous avons 3500D+ en seulement 45Km.
Voyant un coureur en ligne de mire je fait l’effort pour revenir. Nous entamons la discussion afin d’oublier nos douleurs réciproques. Le fait qu’il soit réunionnais facilite l’échange et lui demande si le parcours ressemble a celui de la Diagonale. Franco il me répond que « oui » mais qu’ici c’est plus dur du fait que les montées et descentes s’enchainent sans transitions. Je me dis que ca me fera un bel entraînement en vue de la diag cet automne.
Arrivé à la base vie du 60 ieme km, après 9 heures de course, je suis parfaitement dans mon timing mais ressent toujours la fatigue s’amplifier. Je regarde alors ma montre à l’entrée du ravito et me fixe, ou plutôt m’impose, de ne pas ressortir avant 20 minutes. Je change alors de teeshirt, nettoie mes pieds plus que boueux à patauger dans l’eau depuis le début du parcours, change de chaussettes et profite pour manger une soupe et du riz. Il est encore trop tôt pour craquer sur le chocolat même si j’en ai envie, au risque de connaitre des problèmes de digestions.
Après ce mini repas, je me lance dans la plus grosse difficulté du jour avec 1300D+ et sais d’expérience qu’après la digestion d’ici 30 min, je devrais retrouver des forces et basculer dans une phase de mieux. Mais là rien... je continue même à basculer dans le moins bien. Je sais quand même que cette phase ne durera pas et qu’il y aura un moment de mieux mais la question reste Quand?

Le parcours devient alors totalement sec, avec des sentiers vertigineux, pavés et taillés dans la roche volcanique. Nous zigzaguons entre les deux points culminants de l’ile, entre des crêtes rocheuses à 1600m d’altitude. Les parties plates n’existent plus ici, à minima nous sommes sur du 10% ou il faut parfois tenter de trottiner, des coup de cul avec des marche en pierres de 40 cm de haut ou des descentes dans des escaliers métalliques permettant le cheminement sur ces massifs abruptes. Cela est épuisant tant pour les cuisses que pour les organismes. Je suis toujours dans le dur, je souffre maintenant depuis 3h et rien ne change. Néanmoins je suis surpris de ne pas penser un instant à l’abandon ou à me dire “ Mais qu'est ce que je fou la, arrête!”. Surement parce que les paysages sont magnifiques et surprenant, mais surtout car je pense avoir une sorte de hargne intérieure et envie de gagner face à mes aléas de voyage et aussi pour Seb.
Arrivé au 76ieme km, le plus méchant est fait, nous avons parcouru 6300D+ (je vous laisse faire le ratio km/D). Nous sommes au sommet de l’ile reste plus qu’à « descendre » avec tout de même une grosse bosse à passer. Mais cela est aussi synonyme de parties planes ou il va falloir relancer et savoir, ou surtout vouloir, courir quand beaucoup marcheront. Dans ces situations, il est toujours bon d’avoir des compagnons de course pour se motiver, mais la à part quelques moutons, personne. Il faut donc que je me donne un rythme de course pour ne pas perdre trop de temps et à l’inverse ne pas exploser en voulant tout donner. Les sentiers sont plus monotones, sur des pistes larges, peu de végétations, on dirait notre garrigue. Je m’occupe l’esprit comme je peu pour ne pas penser à toutes les petites douleurs qui pourraient m’inciter à marcher: je découpe le reste du parcours en étape pour que ca passe mieux, pense à mon alimentation au prochain ravito, à mes amis, ma famille qui doivent me suivre en live, à Amandine Ferrato qui est passée par la il y a déjà quelques heures sur le trail du 40Km et qui doit avoir terminé  (d’ailleurs un grand bravo car elle termine 4ieme au scratch).
J’ai l'impression de ne pas avancer avec mon rythme de « footing du dimanche » mais vu que personne ne me double, pas même Émilie Lecomte qui est derrière moi, cela montre que je suis dans le tempo.
Point de vu chrono, je suis toujours au quart d’heure prêt par rapport a mon prévisionnel, ce qui signifie que je pourrais mettre 18h alors que j’ai l’impression qu’a ce rythme il m’en faudra 24. Côté classement, aucune nouvelle mais vu que pas grand chose n’a évolué depuis quelques heures je pense toujours être dans les 30ieme.
La seule vraie distraction viens alors du fait que l’on commence à doubler les derniers du 40km. Eux marchent et sont époustouflés de nous voir passer en courant. Certes ils sont pour la plus part mal équipés, sans technique mais souffrent peu être plus que nous et ont du mérite. Je me tiens alors de leur exprimer un “Força” chaque fois que j’en double un.
Tous les ravitos deviennent alors pour moi une sorte de refuge d’étape ou je prend le temps de bien remplir ma poche a eau, manger du chocolat pour le coup...cela fait du bien dans la tête mais aussi physiquement. Enfin la forme revient au 90ieme km! Ce ressentit se mesure sur le terrain: depuis une dizaine de kilomètres je faisait le yoyo avec 2 coureurs portugais qui courraient ensemble et que je n’arrivais jamais a suivre sur les parties planes, maintenant c’est bon j’arrive a les tenir et relançons en trio. Nous avons un bon rythme mais la fin du parcours est longue sur un interminable sentier en flan de falaise a perte de vue.
A la sortie de ce sentier en balcon, surprise, un des deux portugais craque et s’assoit sur le bord du chemin. Je part donc seul pour affronter les 10 derniers km la aussi sur des Levadas (sentiers longeant des petits canaux)  à perte de vue qui peuvent vite démoraliser. Mais aujourd'hui j’ai un mental inoxydable et rien ne m’effraie, la fatigue est bien là, les jambes sont lourdes mais je pourrais encore trottiner des jours durant sans ennuie. Je suis dans mon monde, dans le monde de ce coureur qui fait le vide dans sa tête et que plus rien ne peut atteindre.
17h50, j’entame la descente finale sur l’arrivée que j’ai en visuel en contre bas le long de la plage. Contrairement aux autres ultra où j’ai souvent une larme à l’oeil, plein d’images qui me reviennent, ou je me félicite à voix haute….là Non.  Je suis Zen, serein d’avoir accompli une très belle course, d’être surement dans les 30ieme sur une étape de l’UTWT, d’être a moins de 10 min de mon temps prévu mais surtout de ne jamais avoir douté pendant toute la durée de la course.
17h55, je franchi la ligne 33ieme : “j’ai fait le job!”
Sébastien, me retrouve sur la ligne pour m'offrir une bière bien méritée et qui fait plaisir.
Quelques jours après cette course, je ne suis pas euphorique, ni sur mon petit nuage, mais tout simplement fier d’avoir parfaitement géré de A à Z (sauf le T de transport) cet ultra que je classerai parmi les plus exigeant que j’ai fait.
Heureux de ne jamais avoir douté durant la course et avoir été lucide à tout moment.
Aujourd’hui je suis serein.

A présent, je n’ai qu’une envie: Remettre mes basquets, retourner courir et préparer mon prochain ultra.