Quelle émotion de se retrouver une fois de plus sur cette ligne de
départ de l’UTMB au milieu de 2500 coureurs et dans une ambiance hors norme en
plein centre de Chamonix. C’est la troisième fois que j’ai la chance de vivre
ce moment. Une fois pour boucler un mini UTMB sur un parcours de repli à cause
de la neige qui s’était invitée sur le parcours, une autre fois pour m’arrêter
après seulement 30 km à cause d’une cruralgie survenue quelques semaines avant
le départ, et cette fois-ci, ou je sais que je ne suis pas assez préparé avec
quelques kilos de trop ce qui m’empêche d’espérer un bon chrono. Mais la magie
UTMB opère une fois de plus et j’attends le départ presque la larme à l’œil en
ayant qu’un seul objectif, celui d’être finisher et prendre un maximum de
plaisir.

Je me fie à mes sensations et me fixe un rythme de course me permettant de ne pas trop m’attarder sans non plus me griller. Je passe les Houches dans les 200ième et commence à me dire que je suis un peu trop rapide. Je croise alors plusieurs connaissances dans la montée. Dur de ne pas s’emballer dans ce cas-là. Je les salue, prends quelques secondes pour discuter et repart. Le passage sur St Gervais est très rapide mais commence à me freiner un peu. Je veux rester sage, la course sera longue.
La nuit tombe et étrangement, je suis très serein. En temps normal je
me serais posé une foultitude de question : Ma frontale va-t-elle tenir
tout la nuit ? Suis-je assez habillé ? Est-ce qu’il va faire
froid ? Et là rien. Je ne me pose pas de question. Je suis sûr de moi, sûr
de ma gestion de course. Je quitte le dernier ravito où mes parents sont là
pour m’assister avant de m’enfoncer dans la nuit profonde jusqu’au petit matin
où je les retrouverai à Courmayeur. Je franchie le mythique col du Bonhomme
passe les Chapieux et repart vers le col de la Seigne. Même si mon objectif
n’est pas le classement, je constate que je suis dans les 300ième et
me fait doubler sans cesse. Le moral en prend un coup. Je commence à me
démotiver : Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi courir si c’est pour
finir loin de mes capacités ? Je n’ai qu’une envie c’est d’appeler Lisa
pour avoir un peu de réconfort mais malheureusement je ne capte plus. Je marche
donc dans l’inconnue, à la recherche du réseau…
Passé du côté Italien, je retrouve le réseau et me jette sur mon
téléphone. Elle me raisonne et me recentre sur mon seul et unique objectif,
celui de me prouver que je peux finir cet UTMB. Déjà 12 heures de course mais
go ça continue.
Le soleil se lève sur le massif du Mont Blanc, je comprends alors
pourquoi je suis là. Je suis heureux et fonce vers Courmayeur pour retrouver
mon assistance. Un plaisir de se changer, manger un peu et échanger avec mes
parents. Je ne suis pas encore à mi-course mais le moral est là et pars pour
une nouvelle journée sur la partie du parcours que je connais.
Les kilomètres passent, je suis toujours dans les 300ième
et me fais toujours doubler. Bis repetita, le moral reflanche pour le même
motif. J’arrive à la Fouly en commençant à un peu subir la fatigue, normal j’ai
fait 100km. Je suis également loin de mes temps de passage mais pour le coup
j’ai déconnecté l’idée de performance et ne cours que pour être finisher que ce
soit en 32, 38 ou 44 heures. Sorti du ravito, je commence à échanger avec un
autre coureur. C’est la première fois de la course que je ressens le besoin de
parler. Jusqu'à là j’étais dans ma bulle, à l’écoute de mon corps, et à la
recherche d’un sens à tout çà. On discute, surtout qu’il vient de la Réunion,
on relance et voilà comment je me retrouve en bas de Champex dans un rythme
trop soutenu et rentre dans une grosse phase d’hypoglycemie. Je mange mais trop
tard. Je sais que je vais devoir lutter, pas à pas durant 500m de D+ pour
rejoindre le ravito.
J’arrive au ravito en mode survie. Je retrouve mon assistance ainsi que mon oncle et ma tante venus m’encourager et découvrir mon sport. Je suis un peu déçu de leur montrer cette facette de l’ultra, avec leur coureur qui est au fond du trou. Je prends alors le temps de bien me ravitailler avec un bol de riz, un peu de fromage et du pain et une bonne dose de crème de marron. Sachant que l’arrivée est encore loin et que je ne suis pas au top de ma forme, je me décide à aller dormir 10min. Juste le temps de m’assoupir que mon réveil sonne. Il est temps de repartir un peu plus frais. La micro sieste m’a fait du bien. Mon oncle et ma tente m’accompagnent sur quelques hectomètres à la sortie du ravito et cela me fait du bien. Me voilà alors de nouveau seul, à l’assaut de la Giète. Je monte péniblement. Je connais bien cette montée mais là elle me semble interminable. Je regarde ma montre et me dis que je n’arriverai pas à Cham avant le matin. Je mets ma frontale au sommet car je rentre dans ma seconde nuit qui va être longue. La descente vers le ravito de Trient ne m’économise pas. Je commence à souffrir des quadri et des articulations. Je n’arrive plus à courir en descente et alterne entre marche rapide et petite foulée. Je sers les dents mais suis dans le dur. Une fois de plus le moral rechute : Mais pourquoi je fais ça ? Quel est le but ?

Plus que 20 km avec l’ascension de la Tete au Vent. La montée nous est
douloureuse et longue. J’acquiesce un énorme coup de barre et commence à
m’endormir en marchant. Je propose alors à Philou de passer devant pour guider
notre petit groupe afin de me réveiller. On est fatigué, normal il est 4h du
matin et commençons à rire de nos états. Personnellement, je commence à avoir
des hallucinations après deux nuits blanches. Cela me fait également rire. D’un
coup mon téléphone sonne. Mes deux compères sautent alors sur l’occasion pour
s’asseoir immédiatement pour faire une pause et me disent que j’ai tout mon
temps pour discuter un peu. Je suis mort de rire.
Les kilomètres pour rejoindre le dernier ravito sont interminables.
Nous sollicitons Christophe plus en forme pour qu’il parte seul car il va plus
vite. Nous nous retrouvons alors à deux avec Philippe. Nous appréhendons tout
les deux la dernière descente car nos quadri sont en vrac. Nous prenons
quelques forces au dernier ravito et nous lançons sur l’ultime descente avec
Cham en point de mire. On a mal mais on sert les dents et savons que plus rien
ne nous empêchera de franchir l’arche d’arrivée. On souffre, on se soutient, on
crie, mais la ville se fait proche. On rentre dans Chamonix les jambes lourdes.
J’aperçois alors un très bon ami, Francois, qui me fait la surprise d’être là
pour mon arrivée. Il court les derniers kilomètres avec nous. Cela me touche,
et je suis aussi ému de partager cette « victoire » avec mon collègue
de trail Philippe. Cela fait 37 heures que nous sommes parti et nous voilà de
retour sur la place de l’amitié de Chamonix. L’arrivée est quasi déserte à 7h
du matin, mais l’émotion est bien présente et je passe sous l’arche ou je fixe
les 4 lettres inscrites à son sommet : U T M B ! Ca y est je l’ai
enfin bouclé ce tour du massif du Mont Blanc !
Effectivement, je suis loin du chrono que j’aurai pu espérer, mais je suis extrêmement heureux et accompli de ne pas avoir craqué et devenir finisher malgré mon entrainement. Je suis heureux pour ma famille, Lisa, mes amis qui m’ont soutenu, mes kinés, mon team Endurance Shop qui me soutient mais surtout pour moi même. Je suis venu sur cet ultra pour relever un défi personnel. Je l’ai accompli et je sais définitivement répondre à cette question : Mais pourquoi je cours ?