Après avoir eu le malheur de "goûter", un peu par hasard, à la course à pied en 2008, je me suis découvert une passion pour ce sport qu'est le trail.
Un sport d'addiction, où chacun peut y trouver du plaisir, une motivation, des défis à relever.
Un sport qui permet de découvrir de nouvelles contrées, des paysages, des ambiances uniques, des personnages.
Un sport de partage, où les derniers côtoient les premiers, où l'on partage des valeurs.
J'ai longtemps hésité avant de créer ce blog, car loin de moi l'idée de me mettre en valeur (ceux qui me connaissent n'en douteront pas en instant), je tiens surtout ici à vous faire partager ma passion, au travers de mes récits de courses et des tranches de vie vécues depuis quelques années sur les sentiers...et pourquoi pas vous transmettre ce virus qu'est le trail et plus particulièrement l'ultra trail!



vendredi 8 septembre 2017

Swiss Peaks Trail, l'ultra extreme !

 Quoi de plus excitant que de participer au Premier Swiss Peaks Trail, qui, avec 170km et 10 600D+ (mais surtout 12 000D-) devait nous faire traverser une partie du Valais Suisse. Vu qu’aucun temps de référence n’était fixé, et ne connaissant pas la région, je décide de baser ma préparation sur un peu de vitesse, vu que nous sommes assez proche du massif de Mont Blanc, je me dis que le terrain doit être similaire donc « roulant ». Pour établir ma feuille de route et mes temps de passage, idem, je prévois une allure UTMB avec un chrono ambitieux de 28h.

Arrivée sur place, la veille de la course, je pars retirer mon dossard sur les bords du lac Léman, serein et confiant. Après une bonne nuit de sommeil, direction le barrage de Dixence où sera donné le départ à 13h.


Dès lors, on sent que ce trail va être atypique : arrivés au pied du barrage, nous devons prendre le téléphérique pour nous rendre sur la ligne de départ, placée sur le barrage, à 2400m d’altitude. Le paysage est à couper le souffle avec le lac de Dix et les glaciers en arrière plan. Tout est déjà calme, nous avons l’impression d’être au milieu de nulle part : un barrage et juste une arche de départ avec les 200 coureurs qui se rassemblent peu à peu. Nous sommes loin de l’ambiance survoltée de l’UTMB ou de la Diag, mais ce retour aux sources fait du bien et permet de faire le vide avant le départ.

Juste le temps d’un briefing sommaire, où l’organisateur nous confirme les mauvaises prévisions méteo pour le lendemain, que le départ est lancé. Je pars dans le peloton de tête, en compagnie du futur vainqueur, Patrick Bohart, qui se contente de suivre. Après une traversée du barrage, nous attaquons la première montée qui nous amène au pied des glaciers à 3000m d’altitude. Avec le peu d’acclimatation à l’altitude (vu que la veille je dormais encore à 400m), je décide de ne pas trop forcer mais sens néanmoins que ce manque d’oxygène nous fait déjà fortement puiser dans les réserves. Je lâche un peu la tête de course pour me placer dans les 10 premiers et profiter un peu de ces paysages magnifiques. Très vite je me retrouve isolé, ce qui renforce le coté sauvage de la course. Tout va bien, nous traversons des gros blocs de rochers qui rendent la progression difficile et je commence à me rendre compte que le terrain n’est pas aussi roulant que ce que j’avais prévu. Je me dis alors que cela s’améliorera après et que ce parcours ne peut pas être aussi terrible que celui de l’Echappée Belle.
Les deux premiers cols franchis, nous entamons alors une descente de 1800D- qui risque de faire chauffer les cuissots. Je décide alors de descendre à l’économie et conserver une foulée légère pour limiter la casse. Sans perdre de place, j’arrive en bas assez frais pour le premier ravito. Le seul hic, c’est juste que mes temps de passage ne correspondent pas un brin à ceux que j’avais prévus. Je comptais être là en 2H15 alors qu’il m’aura fallu presque 4H et cela sans trainer. Je reste alors convaincu que la suite sera plus roulante et repars confiant pour les 20 prochains kilomètres qui me séparent du second ravito.


Très vite, la pente se raidie et une fois de plus, la vitesse n’est pas au rendez vous malgré le rythme que j’essaie de m’imposer. Ce rythme convient d’ailleurs très bien à un autre coureur suisse, avec qui je commence à discuter pour passer un peu le temps. Nous en venons alors au sujet de nos temps prévisionnels de course où il m’annonce un 36 heures et me dit que Patrick Bohart vise un 28 heures. Tout sourire, je lui annonce alors que moi aussi j’avais misé sur 28h mais que vu ses dires, je devais surement me raviser à rajouter quelques heures. Il confirme, en ajoutant qu’il connaît bien l’organisateur et qu’il est du genre à tracer des parcours bien exigeants. Bref, moi qui pensais ne pas devoir rallumer ma frontale le samedi, je refais un rapide calcul et constate que mon arrivée se fera au mieux à 23h. C’est donc raté pour l’apéro au bord du lac avec le coucher de soleil !
Nous avançons, mais ne pouvons pas dire que les kilomètre s’enchainent. J’ai l’impression d’être sur le GR20. J’essaie alors de faire abstraction du temps et aperçois au loin, très loin, le second ravito. Il est 18h passé et il commence à faire frais à 2700m d’altitude. Heureusement, le ravito est à l’intérieur d’un refuge, chauffé. Toujours accompagné de mon collègue de route, nous « profitons » du ravito et prenons bien 5 minutes pour nous ravitailler. Le temps de dévorer quelques morceaux de bananes, des fruits secs, un morceau de quatre quart et un thé.

Après ce festin, direction la seconde grosse descente, elle aussi de 1800 D- qui va également faire mal aux cuisses. Même stratégie, j’y vais cool, mais commence à accuser le coup. Je laisse filer mon compère. J’ai mal aux quadri mais aussi à cette fichu cheville, et commence également à sentir les lombaires qui tirent. Très vite, une fatigue générale apparaît alors que je n’ai fait que 40 kilo (comme disent les Suisse). Très vite le moral aussi en prend un coup. Je broie du noir et il me paraît impossible de pouvoir être capable de faire encore 130 km. C’est là où je comprends que j’ai pris cet ultra trop à la légère. Et non ce n’est pas une formalité de courir 170km pendant 28 h (ou plutôt 36h vu mon nouvel objectif). 

Peut être trop confiant, je m’étais préparé mentalement comme pour un ultra de 100km en me disant que cela irait vite. Faux ! je suis sur un vrai ultra, le chemin sera très long avec des hauts, des bas, des moments de doute, d’euphorie, de douleur, de joie, il va falloir se découvrir. J’accepte alors mon sort et remets en application les basiques, à savoir ne pas se projeter sur l’ensemble de la course mais cheminer étape par étape en se fixant comme but le prochain ravito et ainsi de suite. J’oublie alors ces 130 kilo restant, les 25 ou 30 heures de course restantes et me focalise à nouveau sur la prochaine étape, la base vie de Champex à 15km de là.

Le moral revient un peu malgré la nuit qui commence à tomber. La montée vers Champex à la lueur de la frontale me paraît interminable. Je recommence à me démoraliser et envisage l’abandon à la base vie car le plaisir n’est plus là. Je cogite et cherche un motif valable pour continuer. Allez après Champex je vais faire une quinzaine de kilomètre que je connais bien pour l’avoir parcouru plusieurs fois lors de la CCC avec la montée sur Bovine puis la descente sur Trient. La voilà ma motivation, fouler à nouveau le parcours de l’UTMB que mes amis Laurie, Philippe, Emilie, Baptiste et les autres ont foulé la semaine passée dans un état peut être pire que le miens. Je dois le faire pour eux !


J’arrive alors sous la tente de Champex, la même que celle de l’UTMB qu’ils ont conservée pour le Swiss Peaks. Mes parents sont là, et m’ont préparé mon ravito et ma tenue de rechange pour passer la nuit. Je jette un coup d’œil à ma montre et m’oblige à me « reposer » 30 min pour bien me ravitailler. Je savoure 2 bols de pâtes bolognaises accompagnés de quelques morceaux de bananes et de quatre quarts. Je prends le temps de me changer en mettant un tee shirt à manches longues et prévois bonnet et gants plus épais pour affronter la nuit et la pluie annoncée. 29 min plus tard, une bise rapide à mes parents et me voilà reparti pour affronter la nuit.

La montée sur Bovine se passe assez rapidement, j’ai repris du poil de la bête, le moral va bien, et étrangement les jambes aussi. Je bascule alors sur la descente vers Trient, avant de bifurquer par rapport au parcours de l’UTMB. Cela fait déjà presque 3 heures que j’ai quitté Champex et toujours pas de ravito. Je m’amuse alors à comparer la différence folle entre l’UTMB et ce Swiss Peaks : Sur l’UTMB j’aurais déjà passé 2 ravitos, à Bovine puis Trient alors que là il me faut encore 1 heure avant de trouver le prochain : de sacrées étapes ! J’aperçois alors le village de Finhaut où se trouve le ravito mais malheureusement une profonde vallée escarpée nous sépare. Je me retrouve alors dans une descente bien raide typée Réunion avec des marches énormes à franchir. 
Le plus dur est de se dire qu’il faudra remonter la même chose une fois la rivière franchie.
Enfin je rejoins le ravito situé dans un gymnase. L’ambiance est calme, normale il est 2h du mat. Je recharge en eau et repars à l’assaut d’un gros morceau avec 3 cols de 2500m à franchir toujours dans la nuit et seul !
Une fois de plus, pour garder le moral, je me focalise sur le prochain objectif, le prochain ravito. L’ennuie c’est qu’il est à 20km et 2000m D+ plus loin. J’estime à 5 à 6h le temps pour y arriver, ce qui me semble insurmontable. Je prends mon mal en patience et pars à l’assaut de la montagne. Ca monte droit dans le pentu au travers de la foret. Mes jambes me font mal. Je résiste et essaie de profiter du paysage éclairé par la pleine lune. C’est d’ailleurs bon signe car tant que je vois la lune c’est qu’il n’y a pas de nuages donc pas de pluie. Après une heure de montée, je longe alors le lac d’Emmosson où nous traversons un tunnel sur presque un kilomètre. Malgré mon mal aux jambes, je me force à courir pour essayer d’avancer un peu plus vite sur cette piste à plat qui suit le lac. Enfin cela remonte, et je reprends mon rythme de marche. Très vite je reprends de la hauteur et l’ambiance devient minérale. Avec la pleine lune j’aperçois même la sortie du col, ce qui me motive. J’aperçois également au loin 3 frontales de coureurs qui sont en train de monter. Cela fait du bien de sentir une présence humaine depuis le temps où je cours seul dans ces montagnes. Une fois le col franchi, gros coup de déprime : Je pensais qu’il n’y avait qu’une petite descente pour le col suivant, et en fait j’aperçois les autres coureurs très très bas alors que le prochaine col est à même hauteur que celui-ci. Je descends alors sur ce sentier très raide, glissant qui alterne entre gravillons et moraines. Je subis ce dénivelé négatif qu’il faudra remonter en face. De nouveau, je me démoralise et pense que ce trail sera interminable. Je ne me vois pas avancer. Allez cette fois c’est dit, prochain ravito, j’arrête même si je sais qu’il n’y a pas de rapatriement possible. Je prendrai une piste pour rentrer vers la civilisation. Je chemine difficilement, un peu déçu de mon échec ! Le jour commence à se lever au passage du col et j’aperçois mon « arrivée », à savoir le prochain ravito. Je suis presque heureux. J’entame la descente et pense alors à tous mes amis qui en ont bavé sur l’UTMB, à tous mes amis, à ma famille, qui m’ont envoyés des petits messages avant le départ en croyant en moi. Non je n’ai pas le droit d’abandonner. C’est trop facile. J’arrive alors à ce si attendu ravito, après 18 heures de course. Je me ravitaille mais hors de question de rendre mon dossard. J’ai mal, mais je veux repartir. Je m’assois 5 min le temps de reprendre des forces. Puis go ! direction la suite du parcours : encore 4h pour retrouver mes parents sur la seconde zone d’assistance.

Encore un col à 2500m à franchir. Mais cette fois-ci, je constate que le temps commence réellement à se gâter. Il commence à tomber quelques flocons de neige fondue, mais rien d’alarmant. Par contre le vent se fait se plus en plus violant à mon approche du col. Je décide alors, malgré la fatigue, d’accélérer le pas pour ne pas trainer là haut. Même mes bâtons ne tiennent plus à la verticale si je ne le tiens pas fermement. Ca caille. Je me dépêche de basculer et cours même assez vite sur le premier kilomètre après la descente pour sortir de cette zone de tempête. Malheureusement, le vent faibli mais la pluie se renforce. Je mets alors ma capuche et continue tranquillement ma route. La descente est très longue et une fois de plus, je commence à être moins bien physiquement. J’ai mal aux jambes et au dos. Une fois de plus, je commence à broyer du noir et fais l’erreur de penser qu’il me reste à minima 15 heures de course. Le moral en prend un coup et je n’arrive même plus à courir en descente. Que faire au prochain ravito ? abandonner ? Non je sais, je vais dormir 20 min pour me refaire une petite santé. Je n’y crois pas vraiment mais opte pour cette stratégie.



Arrivé à la zone d’assistance, mes parents ont une fois de plus installé une assistance au top. Je n’ai même pas ouvert la bouche que ma mère me propose un sac de couchage. Au top ces mères, elles lisent dans nos pensées. Je lui donne alors mon sac de course pour qu’elle refasse le plein d’eau, de barres et change quelques accessoires pendant que je pars m’allonger 20 min. Je trouve le sommeil en quelques minutes, allongé sur une table en bois, bien au chaud dans ce duvet d’où ne sort que ma tête. Malheureusement à peine tombé dans les bras de Morphé, j’entends ma mère me dire qu’il est l’heure de repartir. Quelle horreur de sortir du duvet bien chaud et de voir la pluie tomber. J’ai le moral dans les chaussettes mais non je ne veux pas arrêter cette aventure. D’un pas décidé, je remets ma gore tex, enfile (pour la première fois de ma vie) mon pantalon étanche, mets mon sac sur le dos et repars tambour battant en donnant rendez vous à mes parents à la prochaine base vie.
La pluie tombe fort mais je suis satisfait de mon matériel qui résiste bien. Malgré ces conditions pourries, je me dis que cela permet au moins de m’entrainer et de tester du matériel pour un futur Tor des Géants (en 2018 ?). J’arrive au ravito où je ne traine pas trop. Juste le temps d’échanger un peu avec les bénévoles qui m’annoncent qu’il y a déjà plus de 100 abandons sur la course. 
Je repars confiant, toujours au sec malgré la pluie battante. Au sec, oui mais pas longtemps. Juste le temps d’un petit passage en crête avec des rafales de vent ignobles qui font tomber la pluie horizontalement et me fouette le visage. Tout d’un coup, je sens l’humidité m’envahir. Même stratégie que ce matin, je me dépêche de franchir ce sommet et bascule rapidement dans la descente.
Descente très humide, dans la boue et les flaques où mes pieds sont détrempés. Le balisage se fait sommaire, surement emporté par le vent. Je me perds quelques minutes. Un peu à tâtons, je retrouve le bon chemin pour entamer la montée vers la pointe des Mossettes qui est exposée en plein vent à 2000m. Je commence à monter, humide, je sens le froid m’envahir. Ce n’est pas bon signe. Plus je monte, plus le vent et la pluie se renforcent. Je commence à avoir les doigts gelés malgré les gants. Ce n’est pas bon, je sais alors que je rentre dans ma zone de doute. J’ai résisté pendant 24h de course mais là je sens que ce coup de froid risque d’être la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Je ralentis, m’arrête, hésite une fois. Repars. Comment vais-je faire, si, sur le sommet, je rentre en hypothermie ? Il me reste 700D+ et je suis déjà frigorifié. Comment est-ce possible d’arriver à passer ce sommet dans ces conditions ? Où est le plaisir ? Je suis là pour me dépasser mais cela reste un loisir ! Toutes ces questions tournent en boucle dans ma tête. J’en ai les larmes aux yeux de savoir que je suis en train de me convaincre de faire demi-tour. C’est plus fort que moi, je saisis alors mon téléphone portable, appelle mes parents et leur annonce que je fais demi tour. Ca y est c’est dit ! Ni une ni deux, je repars à contre sens pour rentrer au plus vite. Je croise alors un coureur qui m’a l’air aussi mal que moi et lui souhaite bon courage ! Puis un second enroulé tel une papillote dans sa couverture de survie. Je suis alors à la fois déçu d’abdiquer mais heureux de savoir que d’ici une heure je serai au sec et au chaud !
Après une heure de descente sur une piste, je retrouve enfin mes parents qui m’embarquent dans la « voiture balais » et d’où j’appelle l’organisation pour leur signaler mon abandon.

Oui cela fait toujours mal de devoir abandonner sur une course surtout après 25 heures de course où l’on se fait violence pour ne jamais abdiquer.

Oui cela est dur de constater que tout peu basculer en quelques minutes et que cette décision est irréversible.
Oui cela est dur de se réveiller le lendemain et se dire qu’on aurait pu faire parti de ces quelques finishers du premier Swiss Peaks Trail.
Mais pour une fois, je n’ai bizarrement pas l’impression d’avoir abandonner. Peut-être parce que ce trail fera parti des anales avec seulement 28 finishers, soit 86% d’abandons. Peut-être parce que je sais que la course a été stoppée là où j’ai arrêté, 3 heures après mon passage pour cause de sécurité. Peut-être parce que c’est le trail (ou morceau de trail) le plus exigent que j’ai fait de part sa technicité, son profil, son coté sauvage et le peu de ravitaillements (8 pour 170km).
En tout cas, je remercie tout ceux qui m’ont témoigné de leur soutien avant pendant et après la course. C’est grâce à vous que je suis arrivé jusque là !
Merci également à l’organisation, qui malgré les critiques, nous a offert un ultra engagé, sauvage et aux paysages de rêve.
Encore plus que sur d’autres ultras, ce trail m’a permis de tester mes limites, de relativiser sur le fait qu’il me reste encore beaucoup à apprendre, de me challenger, mais surtout de me donner encore plus la niaque pour mes prochains ultras avec une soif de revanche et une envie encore plus grande de courir.
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