Après avoir eu le malheur de "goûter", un peu par hasard, à la course à pied en 2008, je me suis découvert une passion pour ce sport qu'est le trail.
Un sport d'addiction, où chacun peut y trouver du plaisir, une motivation, des défis à relever.
Un sport qui permet de découvrir de nouvelles contrées, des paysages, des ambiances uniques, des personnages.
Un sport de partage, où les derniers côtoient les premiers, où l'on partage des valeurs.
J'ai longtemps hésité avant de créer ce blog, car loin de moi l'idée de me mettre en valeur (ceux qui me connaissent n'en douteront pas en instant), je tiens surtout ici à vous faire partager ma passion, au travers de mes récits de courses et des tranches de vie vécues depuis quelques années sur les sentiers...et pourquoi pas vous transmettre ce virus qu'est le trail et plus particulièrement l'ultra trail!



jeudi 20 octobre 2016

L'aventure de la Diagonale des Fous !


A peine sorti de l’aéroport de St Denis, je commence à comprendre que l’ile de la Réunion va vivre au rythme du GRR pendant toute la semaine: un chapiteau de bienvenue accueille les coureurs a l’aéroport, des affiches publicitaires sont placardées dans la rue, les radios ne parlent que de ca...nous sommes sur l’ile du Trail.
Je rejoins alors Perrine, Julien et Laurie avec qui nous avions loué une villa afin de nous préparer ensemble à vivre cette expérience surement unique. Malheureusement notre Perrine enchaine les soucis de santé, entre un genou bloqué et une angine. Nous faisons de notre mieux pour la remotiver mais ce n’est pas simple (en tout cas bravo a elle qui prendra le départ et se battra pour franchir la ligne d’arrivée main dans la main avec Julien. C’est beau !).

Ces 2 jours pré course me permettent de peaufiner mon plan de course, étudier sur le papier le parcours dans ses moindres détails (Merci Julien pour toutes les infos, sachant qu’il connait le parcours), préparer mes différents sacs d’assistance, car j’ai l’honneur de faire parti du « team Gaspar », une association de bénévoles plus que généreux qui assistent une poignée de coureurs dont je fait parti sur les différents post de ravitaillement durant la course. Je sais que cette course est plus qu’un ultra, tout doit être au top et minutieusement préparée, afin de limiter au maximum les imprévus.


Jeudi 20h00 nous y sommes, nous pénétrons dans “l’arène de départ” sur le port de St Pierre. Nous sommes 2500 coureurs tout sourire, le public est la en masse. J’ai l’impression que toute la Réunion lé la! Nous restons groupé avec Perrine et Julien en espérant intégrer le sas Elite grâce à nos points ITRA et à nos mails de demande à l’organisation. Le directeur de course accepte mes deux compères mais pour ma part, je n’ai pas réussi à faire parti de « l’Elite ». Je les vois donc s’éloigner vers le fameux sas et me sens alors lâché à moi même, perdu au milieu de plus de 2000 coureurs. Mon ego en prend alors un coup, frustré de ne pas pouvoir profiter de cette dernière heure d’avant course avec mes deux amis et les autres coureurs de métropole que j’ai l’habitude de côtoyer et qui eut aussi sont dans le sas Elite. A quelques minutes du départ, je joue sévèrement des coudes afin de me positionner au mieux sur la ligne. C’est une véritable foire d’empoigne. Tout le monde est survolté, ca pousse, ca cri, les spectateurs sont amassés le long de la ligne de départ. Je n’ai jamais senti autant d’enthousiasme général au départ d’une course. Nous attendons tous le top de départ, a la fois heureux mais aussi inquiet sur ce que nous réserve cette « aventure ». Je suis à la fois, impatient, heureux et stressé.

22h précise, la voix du Trail , Ludo Collet lance le départ et c’est tout simplement magique: le public hurle et applaudi sur plusieurs km, de milliers de personnes sont la, un feux d’artifice éclate pour nous coté mer, c’est l’euphorie générale, on a tous la banane, à tel point que cela court très très vite. Je dois être à 16km/h, je reviens me caler dans le top 100 pour assouvir ma frustration du départ.
J’ai les jambes, tous les indicateurs sont au vert, la météo est au top. Le public est toujours aussi nombreux en bord de route après 10km, cela ressemble à un franchissement de col au tour de France, la foule se resserre et ne pouvons passer qu’en file indienne, ca cri, ca applaudi, ca nous tend les mains…

Premier ravito, je suis toujours bien mais surpris de me retrouver avec des coureurs comme Stephane Brogniart ou même Fabrice d’Aletto qui me fait signe. Je suis dans les 70ieme largement en avance sur mes temps de passage. Il faut que je réduise l’allure sous peine de prendre le risque d’exploser plus loin et ne jamais voir l’arrivée.
Je ralenti alors la cadence pour me remettre dans mes temps de passage. C’est dur mentalement car je me fais doubler par des dizaines de coureurs alors que je suis bien physiquement. Mais il faut être sage car cela ne fait que 6h que je cours sur les 34h prévues dans mon planing. Ce n’est que le début de l’aventure. Le lever de soleil me remonte le moral et je découvre alors des paysages à couper le souffle. Je n’ai jamais vu cela, je savoure et apprécie la chance que j’ai d’être là dans un des plus bel endroit du monde. Je plonge alors dans le cirque de Cilaos et par la même occasion en enfer. Je découvre tout à coup l’hostilité des chemins du centre de la Réunion: des pentes très raides et vertigineuses, des rochers, des marches énormes, des racines. Je comprends alors que la traversée des cirques va être très longue et qu’il faudra être patient et ne pas craquer moralement. Je descends à l’économie pour préserver mes cuisses pour les 120km restant et surtout eviter la chute qui pourrait être fatale.

J’arrive alors frais à la première base vie de Cilaos ou Phil et la team Gaspar m’attendent. Ils sont au petit soin, j’ai droit à un massage des cuisses et surtout à un succulent gâteau patate qui deviendra avec les massages mon fil conducteur de ravito en ravito. Je prends aussi le temps de me changer pour repartir tout neuf pour affronter la journée dans les cirques. Je repars au bout de 15 min le ventre bien rempli, les cuisses détendues et le moral au beau fixe. Je sais qu’il me reste encore presque 24h de course mais je n’y pense pas et me donne comme objectif le prochain ravito. Je chemine mentalement de ravito en ravito pour que cela passe mieux.
J’attaque alors la fameuse montée du Taibit ou je rencontre Michelle (la maman de Julien) et Charles qui m’encouragent. Devant les dégâts commencent à se faire sentir et je croise un des frères Camus qui fait demi tour et renonce à aller plus loin. Effectivement nous sommes alors à un point de non retour car une fois engagé dans le cirque de Mafate, plus de rapatriement possible pendant presque 10h de course.




Arrivée au ravito de Marla, à l’entrée de l’enfer de Mafate, je retrouve Julien qui est à bout, allongé dans l’herbe. J’essaye de le convaincre de repartir mais il décline mon offre. Cela me pèse mais j’espère alors que Perrine arrivera à le convaincre (et elle y arrivera).


La boucle dans Mafate n’est que pur bonheur pour les yeux mais c'est long. Nous n’avançons pas. Tout a l’air proche mais il faut chaque fois franchir des ravines plus profondes les unes que les autres. Ca monte, ca descend, le terrain est très technique. Ca use. Il ne faut plus avoir un mental de traileur mais raideur. Avancer pas à pas, s’affranchir du temps qui passe. Simplement gérer et écouter tous les signaux qu’envoient mon corps pour ne pas trop l’épuiser. Côté alimentation je n’arrive plus trop à digérer les barres et autres gels. J’essaye alors de m’alimenter avec des mets plus « simples » aux ravitos: riz, patate douce, bananes… et de n’utiliser mes barres que lorsque j’ai un coup de mou. Toujours à l’écoute de mon organisme, je m’aperçois que je suis souvent obligé de m’arrêter pour une petite vidange. Pas normal, je dois manquer de sel et décide aussi de maximiser mes apports en sel sur les ravitos. Toutes ces réflexions m’occupent l’esprit et me font passer le temps.


Je continue de ravito en ravito, en essayant de tenir mes temps de passage même si bizarrement je perd la notion du temps. Je suis prêt à courir pendant 34, 48 ou même 60h s’il le faut. Dans ma tête, c’est un peu comme si j’enchainais de petits trails de 2 à 3h et j’en redemande à chaque fois. La densité de coureurs est faible, on reste parfois en petit groupe mais cela ne dure jamais très longtemps. Globalement nous sommes tous dans les mêmes allures aux environs de la 70ieme place, mais cette fois ce je ne me soucis pas un brin de ma place, je veux juste me battre avec mon chrono et surtout être finisher.

La nuit point le bout de son nez. Mon petit défi est alors de rejoindre le prochain ravito sans frontale : On s’amuse comme on peut! Mission accomplie, toujours dans mes temps au quart d’heure prêt, je me ravitaille, sort ma frontale et profite de partir rapidement avec 2 coureurs réunionnais pour franchir le rempart du Maido (1000m D+ en 4km), sachant que la route à plusieurs de nuit sera plus simple. Au bout de quelques minutes, je suis assez frais, et sais que les montées longues sèches restent mon terrain de jeu favori. Je décide alors d’accélérer un peu et lâcher mes compères. Je prends alors beaucoup de plaisir dans cette montée nocturne en solo. Arrivé au sommet, le public est là en masse pour nous accueillir et je tombe alors sur Christelle et Nico qui m’attendaient : ils me guident alors vers la tente d’assistance de la team Gaspar afin d’une fois de plus profiter d’un petit massage express de quelques minutes.

Je repars les jambes un peu assouplies pour une descente de 14km vers la seconde base vie de Sans Soucis. Malheureusement, la première partie de la descente n’est en fait qu’une succession de relances pendant près de 6km. J’ai l’impression que ca ne descend jamais, et que ces bosses ne font que m’user mentalement. C’est dur et je vois d’ailleurs quelques coureurs à bout qui dorment le long du sentier pour reprendre des forces. Après plus de 2h de combat avec mon esprit et mes jambes bien endurcies par la descente, j’arrive enfin à la base vie. Comme prévu dans mon planning je décide de m’arrêter 30 min le temps de me faire masser bien sur, mais aussi de manger une assiette de riz avec un peu de poulet, et aussi de changer de teeshirt et de mettre des chaussures avec un peu plus d’amorti pour la fin. Ma lucidité surprend les bénévoles qui s’attendent plutôt à voir des zombies à ce niveau de la course.

Une fois reparti seul dans la nuit, j’ai la sensation que mes chaussures sont trop grandes et réalise que j’ai oublié de changer mes semelles orthopédiques et que je viens de partir sans semelles. J’avais beau être lucide, j’ai tout de même zappé ce détails…peu être normal après 25h de course. Compte tenu que j’ai fait déjà quelques km, hors de question de faire demi-tour, je mise sur le fait que je ne soit pas trop sujet aux ampoules et espère ne pas le regretter plus tard car il reste encore presque 10h de course.
J’avance à mon rythme, en essayant toujours de conserver mes temps de passage. J’ai la sensation de ne pas douter de mon avenir. Je suis convaincu, et ce depuis le début de course que quoi qu’il arrive je serai finisher. Je n’avais jamais ressenti cela sur un autre ultra. Peut être car cette fois ci je vis une véritable aventure et sais que je la mènerai à terme coute que coute.

Il est maintenant 3h du matin. J’ai beau avoir fait abstraction de toute temporalité, le sommeil commence à me rattraper. Mes yeux se ferment alors que je trottine. Moi qui n’avais jamais compris pourquoi certains coureurs arrivaient à dormir le long du chemin alors qu’ils pouvaient faire une sieste sur des lits aux ravitos, je cherche moi aussi un petit coin d’herbe fraiche pour pouvoir m’allonger. Je me dis que 30 min de sieste me seront bénéfiques. Cela me pèserait de m’arrêter mais je serai tellement bien allongé. Je me bat alors avec cette idée et essaye de recentrer mon esprit sur le prochain ravito où je pourrais prendre un café pour tenter de me réveiller. C’est dur mais j’arrive au ravito sans m’être endormi : un exploit ! Par contre vu qu’il est 4h du matin, ce sont les bénévoles de mon assistance qui se sont assoupis (car c’est également un sacrée raid pour eux de tenir un poste pendant 3 jours non stop) et que je « sors » de leur sacs de couchage dès qu’ils m’aperçoivent (encore désolé). Une fois de plus ils sont au petit soins pour moi, me massent et me donne ma fameuse part de gâteau patate.
J’aborde alors le sentier des Anglais pour les 4 dernières heures de course. Je commence à avoir de belles hallucinations : je prend les rocher pour des chiens, confond les arbustes avec des spectateurs. Cela me fait rigoler intérieurement et me dis que je suis quand même bien atteint !


Le jour se lève et commence à ressentir une sensation d’accomplissement. Je suis persuadé que je rentrerai dans le stade de la Redoute pour avoir droit à ma médaille. Une fois de plus, je double quelques coureurs, me fait doubler, mais je m’en fiche, je joue avec moi même aujourd’hui, c’est mon aventure, mon raid.
La dernière montée me fait mal mentalement, c’est sans fin, mais je sais qu’après c’est fini. Bien qu’il fasse jour, je continue à avoir des hallucinations et j’en rigole toujours. Il n’est que 8h du matin mais le soleil commence à taper. Je me lance alors dans la dernière descente sans trop prendre de risque car c’est assez pentu et technique. J’aperçois alors le stade de la Redoute en contre bas mais il reste une bonne demi heure de descente. C’est long, et toute l’attention que je dois porter à dompter la technicité du sentier m’empêche de penser à l’arrivée et savourer cet instant de bonheur.

C’est bon j’y suis, je sort de cet enfer pour parcourir les 500 derniers mètres pour rallier le stade. Je savoure alors pleinement ce moment et me prend à courir à un bon rythme avec une foulée presque légère après ces 167 km. J’entame mon tour de piste du stade, j’ai les larmes aux yeux et sais que j’ai accompli quelque chose, je suis fier de franchir cette ligne avec un chrono qui affiche 34h31min…

Une fois de plus, je remercie toutes les personnes, amis, famille qui m’ont soutenus par leurs messages, petits cadeaux avant, pendant et après cette épopée. Un grand merci à Endurance Shop 13 et les partenaires (Adidas, Meltonic, BVSport, AZR, Oxsitis, Garmin) pour leur aide sur toute ma saison. Un énorme merci à mes Kinés Stéphane, Mathieu et toute l’équipe de Gardanne pour m’avoir remis sur pied à 2 semaines de la course. Et une ovation à l’association Gaspar et Phil pour m’avoir accueilli au sein du Team et m’avoir permis de franchir cette ligne d’arrivée.

Bravo à Perine et Julien pour avoir fait cette Diag cote à cote et être aller chercher la médaille de finisher.
Bravo à Laurie pour sa 5ieme place sur le trail du Bourbon (une sous course qui n’en n’est pas une).
Bravo à tous les finishers de cette Diagonale des Fous !

Aujourd’hui, je me sens apaisé d’avoir réussi à boucler cette Diagonale des Fous dans mes temps, à la 74ième place au scratch (même si je n’ai jamais pensé au classement tout au long de la course) et d’avoir réussi à « dompter » cet ultra hors norme dès ma première participation.
Aujourd’hui je suis fier de faire parti des « FOUS » !!!